Articles de thierry-mariedelaunois
Dans Partage II
Je vivrai toujours après ma mort, par Thierry-Marie Delaunois écrivain
Extrait de l'hommage rendu à la disparue lors de ses funérailles qui se sont déroulées récemment dans une église presque remplie, en toile de fond: le deuxième mouvement de la troisième symphonie de Beethoven: "D'origine italienne, Maria (prénom d'emprunt par souci de discrétion) n'avait que trente-neuf ans à son propre compteur de vie; infirmière et chef de service, elle se donnait à fond dans son métier; dévouée, elle effectuait même des remplacements si nécessaire, le coeur toujours à l'ouvrage malgré des plages horaires souvent pénibles, essayant de conserver en permanence le sourire; pourtant, à l'occasion, il s'effaçait non par manque d'implication, de motivation, mais en raison de cette fatigue lancinante que l'on accumule dans cette profession si exigeante. L'on sait que les pauses sont courtes, insuffisantes, et les sollicitations incessantes.
Notre Maria sentait que physiquement elle n'irait plus si loin si elle ne prenait pas par intermittences de solides vacances, ceci avant même que se déclare la maladie qu'elle a dans un premier temps ignoré, se jetant corps et âme dans les soins, prenant souvent sur elle les maux de ses patients qu'elle affectionnait sans distinction. Ceci, elle ne pouvait s'en empêcher mais cela ne l'handicapait point dans son métier..."
Le début d'une fiction? D'un roman destiné à la publication? Loin de là: ce texte-hommage a été lu le 6 mai dernier à l'occasion des funérailles de Maria qui a bel et bien existé et que je connaissais fort bien, Maria, une jeune femme épanouie mais restée célibataire, totalement altruiste mais avec occasionnellement des sautes d'humeur en raison de son épuisement physique et non psychique. Nous savons tous que le métier d'infirmière lorsqu'il est exercé dans un important établissement hospitalier est plus qu'accaparant mais ailleurs également. Comment dans ce cas parvenir à se vider la tête, l'esprit, une fois rentré chez soi après une dizaine d'heures d'un service intense? Vies privée et familiale peuvent s'en ressentir...
"Ce n'est que tardivement qu'elle a consulté son médecin. Lorsque les vertiges et les nausées sont apparus mais il était à cet instant-là déjà un peu tard pour remédier au problème. Le choc? Intense quand le diagnostic fut posé, mais avec cette surprenante déclaration qui a rapidement suivi: "Je savais que quelque chose clochait, je le sentais au fond de moi mais quoi précisément? C'était semblable à une conviction intime. Pourquoi ai-je ignoré les signes? Par insouciance, inconscience ou...négligence? Une période de recul, de retrait, qui fut accompagnée d'une longue réflexion a suivi jusqu'au jour où elle nous a abruptement déclaré: "Au fond, c'est peut-être là un signe, le signe que ma mission s'est achevée! Qu'il est à présent temps pour moi de raccrocher en tant qu'infirmière mais comme j'ai persévéré, mon corps s'est révolté, décidant à ma place. Je suis parvenue à retaper pas mal de patients, à faire des heureux, à sauver des vies au sein d'une équipe formidable, dévouée et compétente, j'en suis heureuse; je peux donc partir en toute sérénité...mais sans trop de souffrances, j'espère!"
Non, ceci n'est pas une fiction, petit rappel, ce sont bien les paroles de Maria, paroles frappantes certes mais bien réelles, à marquer la mémoire, les mémoires pour la vie! Comment peut-on, je vous le demande, tenir de tels propos lorsqu'on a appris que l'on est atteint d'une irrémédiable tumeur? Être malgré tout satisfaite, heureuse même! Mais confiance en soi, optimisme et combativité étaient les maîtres-mots de Maria qui était sans cesse animée par on ne sait quelle mystérieuse petite flamme intérieure.
"Oui, vous êtes plusieurs dans cette assemblée à savoir que je dis vrai. Notre Maria, bien que n'étant pas une véritable force de la nature, évoluait le coeur à la place du cerveau; c'est certainement la raison pour laquelle elle était si appréciée de nous tous! Mais le plus étonnant, c'est qu'elle est restée moralement vivante, lucide, jusqu'à la fin, avec ce soudain et curieux discours qu'elle nous a tenu quelques jours seulement avant son départ: "Ecoutez-moi... La mort n'est pas ce que l'on croit généralement, la fin de tout! Ce n'est en fait que mon enveloppe corporelle, physique, qui quittera ce monde. C'est la vie qui gagne après tout! Pourquoi me regardez-vous tous ainsi? Je m'explique: je suis dans vos coeurs, n'est-ce pas, et dans vos mémoires; je continuerai donc à vivre par votre intermédiaire à tous! Vous penserez à moi, vous parlerez de moi, vous m'imaginerez auprès de vous, vous reprendrez mes paroles à l'occasion... Entretenez mon souvenir mais sans faire de fixation et sans vivre dans le passé, s'il vous plaît!" Nous nous étions alors regardés, conscients qu'elle détenait là une des clés qui nous permettraient de continuer à avancer en l'absence physique de celle qu'on aimait. De l'être aimé..."
Que pourrions-nous déduire de tels propos? C'était plausible et même acceptable comme idée; c'était même plus qu'une idée: donner un sens à la mort qui n'en est pas réellement une! Aussi bien un athée qu'un croyant peut voir la mort comme la simple disparition de notre enveloppe charnelle, la mémoire de nos proches nous maintenant en vie par delà notre mort et faire son deuil ne signifie pas oublier le disparu ni le condamner à une mort totale qui, en fait, n'existe point! Et tourner la page ne veut pas dire que l'on expédie aux oubliettes celui ou celle que l'on aimait "de son vivant"! La vie gagne, les commémorations et autres réunions familiales ou privées le prouvant sans cesse, cierges, bougies et photos en témoignant.
Dans l'esprit des croyants, nous ne disparaissons également pas en totalité, sensations, intonations et attitudes que nous avions de notre vivant formant cette partie, cette entité invisible à nos yeux dont l'empreinte est pourtant plus que manifeste. Ne nous est-il jamais arrivé de sentir une présence auprès de nous ou d'entendre - croire entendre? - la voix d'une personne défunte physiquement? Il est bien sûr extrêmement pénible de ne plus pouvoir côtoyer un être cher mais soyons à la fois un brin lucide et philosophe: tant que nous vivons, continuons à faire vivre chacun à notre manière nos disparus!
L'hommage rendu à Maria se clôtura par cette citation qu'elle aimait tant: "La mort, on s'en fout, c'est pour plus tard et tant pis si c'est pour demain ou pour ce soir! En attendant, vivons et aimons comme des fous!", une auto-citation en fait... Mais, Maria, tu es toujours bien là assise au coin du feu? Bien sûr! Où ai-je la tête?
Dans Partage II
Edition alternative et médiatisation: à tort ou à raison? par Thierry-Marie Delaunois écrivain