Articles de thierry-mariedelaunois
Dans Partage II
Thierry-Marie Delaunois: la séance de dédicaces, arme à double tranchant?
Une belle arme qu'une séance de dédicaces: qu'il soit connu, reconnu ou les deux à la fois (mais les deux ne vont pas toujours de pair), l'auteur ne manquerait que rarement pareille occasion de mettre en valeur ses oeuvres et publications récentes et plus anciennes. Salon du livre, Foire du livre, séances en librairie, pourquoi dénigrerait-il les contacts? C'est également bon pour l'image: poignées de main fermes, sourires élaborés, échanges verbaux, souvent du verbiage mais qu'importe: l'auteur est valorisé et, cerise sur le gâteau, il vend davantage ses publications celles-ci une fois paraphées et/ou dédicacées. Quel amoureux des lettres ne serait pas intéressé par la signature d'un Schmitt ou d'un Jardin? La promotion des Lettres passe aussi par le chemin des dédicaces: dans les salons et foires, la cohue ne permet pas toujours un véritable échange mais l'oeuvre est malgré tout remarquée bien que ce soit ici surtout l'auteur qui soit mis en lumière. La séance en librairie? L'idéal selon moi car plus intime, réelle, permettant un meilleur partage d'idées et de points de vue.
Mais il y a le revers: se montrer, n'est-ce pas de l'auto-satisfaction en puissance? Un signe d'arrogance? Une manoeuvre pour se faire applaudir ou féliciter, de se faire prendre en photos? Le "moi, je..." est alors comblé, principalement si la notoriété n'est pas liée à la qualité des ouvrages publiés. Se faire remarquer, c'est en fait un art: ne pas en faire trop ni trop peu, bien se placer, se positionner, mêler la pudeur et la mise en valeur, faire attention à ses propres paroles, le contraire d'un véritable échange. Rouler des mécaniques, réajuster son col, sa cravate ou son noeud papillon, ébaucher un sourire satisfait, cela se voit parfois dans un salon du livre, rarement le public est dupe. Une séance de dédicaces peut-elle en fin de compte dévaloriser un auteur? Certains écrivains n'apparaissent quasiment jamais non par dénigrement mais par prudence et/ou discrétion. L'oeuvre avant tout, son créateur ensuite. La question de l'image reste en suspens: venir ou ne pas venir? Parfois un dilemme par peur de se faire cataloguer dans la moins bonne catégorie. La séance arme à double tranchant? En quelque sorte. Dures paroles? Réalistes! En ce qui me concerne, cela restera toujours essentiellement un partage d'égal à égal.
Dans Critiques
Les déferlantes de Claudie Gallay lu par Thierry-Marie Delaunois écrivain
"Claudie Gallay excelle à créer des atmosphères enfermant lecteur et personnages dans des secrets bousculés à coups de phrases courtes". (Le magazine Littéraire) Effectivement. Dans un style qui lui semble personnel, loin d'être aseptisé, à l'occasion chaotique, elle nous emmène à La Hague, en bord de mer, où vents et pluies, comme les vagues, déferlent, sous un ciel bien souvent bas, gris, plombé. "Sous la violence, les vagues noires s'emmêlaient comme des corps. C'étaient des murs d'eau qui étaient charriés, poussés en avant, je les voyais arriver, la peur au ventre, des murs qui s'écrasaient contre les rochers et venaient s'effondrer sous mes fenêtres. Ces vagues, les déferlantes. Je les aimées. Elles m'ont fait peur."
Ses personnages également déferlent, sillonnant le village, son bistrot, la mer, le port, la plage, la lande: la narratrice, ornithologue, habitée par un passé douloureux, oppressant, le mystérieux et taciturne Lambert, le vieux Théo, ancien gardien du phare, Nan, vieille dame en robe noire parcourant sans cesse le rivage, à la recherche des siens disparus en mer, Lily et sa curieuse mère, une paire qui ne peut qu'éveiller la curiosité de Lambert et de la narratrice, Raphaël, génial sculpteur visiblement hanté par ses oeuvres, et sa soeur Morgane, la jeune et belle Morgane, l'étrange Max aux discours souvent excentriques, tout ce monde évoluant par vagues successives, immuables, d'une lenteur parfois démesurée.
Que veut Lambert? Que cherche-t-il? Ce phare s'est-il éteint, causant ce sinistre naufrage au large des côtes? Qui était ce petit Michel à présent disparu, d'où venait-il? Autant d'ombres que projette vers nous Claudie Gallay, tenaces, imprégnées de secrets, et le récit qu'elle nous offre n'est qu'un dialogue-océan entre l'ornithologue et l'homme qu'elle aimait. L'utilisation du passé composé accentue aussi cet effet narratif: "J'ai parcouru...il a dit...elle a répondu...j'ai apporté...".
Le jour, la nuit, des atmosphères imprégnées de cormorans, de goélands, des douleurs atténuées par le souffle du vent, amplifiées par le silence de la mer, une eau envahissante, quasi omniprésente, voici les véritables déferlantes que nous assène Claudie Gallay.
"Je savais que l'on pouvait rester très longtemps comme ça, les yeux dans la mer, sans voir personne. Sans parler. Sans même penser. Au bout de ce temps, la mer déversait en nous quelque chose qui nous rendait plus fort. Comme si elle nous faisait devenir une partie d'elle. Beaucoup de ceux qui vivaient cela ne repartaient pas." Le lecteur également décrochera difficilement du récit une fois parvenu à son terme, et son esprit continuera à errer, écumant la lande, observant ce phare lumière dans la nuit pour qui cherche l'espoir ou la délivrance de l'angoisse.
Si vous découvrez ce Gallay sur une plage, proche ou lointaine, emportez-le pour le lire face à la mer. Aux déferlantes. Il vous submergera irrémédiablement.
Les déferlantes: 539 pages en poche, Grand Prix des lectrices Elle 2009.