Auteurs, éditeurs, foire, succès, malaise, par Thierry-Marie Delaunois écrivain
Par
Delaunois Thierry-Marie
Le 04/03/2016
Dans Partage II
Une fermeture temporaire de l'accès principal en raison de l'afflux, le slalom dans les allées, des files à n'en pas finir à certaines séances de dédicaces, les débats pris d'assaut, c'est un réel succès pour la dernière foire du Livre de Bruxelles: dès le premier jour, le jeudi, jour ordinairement mortel pour les exposants, la foule s'est manifestée, solliciteuse, le pari de la gratuité se révélant payant, la fréquentation ayant littéralement explosé: 70500 préinscrits et environ 600 élèves sans compter les personnes venues sans sésame et le dimanche soir, on enregistrait une hausse de 70% des entrées par rapport au même jour l'année précédente. Un raz de marée. Certains exposants (174 pour 434 éditeurs) ont réalisé le samedi soir leurs chiffres accomplis sur toute la durée de la précédente foire, conséquences: déjà des signatures pour 2017 et de nombreuses demandes...
Les éditeurs heureux? Petits et grands se sont montrés satisfaits avec une progression de 30% de leurs ventes, fameux! La gratuité? On la redemande, pourquoi ferait-on à présent marche arrière? Paroles de Dany Laferrière himself: "Le prix crée une barrière artificielle. Les gens n'achètent plus à cause de cette barrière symbolique. Ne pas payer, ce n'est pas juste une affaire de gratuité; quand c'est gratuit, le livre a l'air plus accessible." Une formule à renouveler? Répéter? "Assurément", nous proclame Hervé Gérard, le président du Conseil d'administration de la Foire, que j'ai eu l'occasion - le plaisir, avouons-le! - de saluer. Et si les partenaires publics et privés se montrent un peu plus généreux l'année prochaine, l'investissement fait sur l'avenir deviendrait rentable... Non?
Un public plus jeune et des débats bien plus suivis cette année? L'autre grande tendance, c'est l'arrivée d'un public autochtone, acheteur et en effet plus jeune: environ 700 personnes, une partie non négligeable pour un dessinateur BD et youtubeur connu; notons également et avec soin un bel afflux pour Frédéric Lenoir au Théâtre des Mots et une file conséquente pour l'incontournable Amélie Nothomb repérable de loin grâce à son légendaire chapeau noir tandis que Pierre Kroll, Philippe Geluck et Melvin Burgess ont eux aussi connu leur petit succès, le bémol étant, comme mentionné précédemment, la gestion quelque peu chaotique des entrées. Il fallait être auteur ou exposant pour pénétrer aisément, par le côté opposé - moi de même, pardon! -, dans cette antre du livre.
Mais un malaise, bien réel, persiste malgré tout, en cause: une certaine déconsidération des éditeurs, mais pas tous, vis-à-vis des auteurs et que dire de la légèreté - insoutenable? - avec laquelle sont traités la plupart des manuscrits non sollicités? Un débat fut ouvert par Clotilde Guislain, directrice aux éditions Mardaga: quand l'édition s'affaiblit, la culture s'appauvrit. Vraiment?
Faudrait-il lui rappeler, diplomatiquement éventuellement, que le fonds de commerce des éditeurs est composé des "auteurs"? Sans ces derniers, sa maison d'édition s'en irait au vent. Plus d'auteurs, pas d'édition! Pas d'auteurs, plus de lectures! Les objectifs d'un auteur ne sont pas ceux d'un éditeur; cependant l'un dépend de l'autre. Logique. Inéluctable. Si les premiers venaient à disparaître par manque de délicatesse des seconds, il va de soi que ces derniers s'évanouiraient - dans tous les sens du mot - face aux techniques d'édition émergeantes. Venir en aide aux éditeurs? Très bien mais pourquoi pas également aux auteurs, créateurs de culture? Car les heureux éditeurs ne sont pas détenteurs de la culture littéraire, ils n'en sont que le support technique. La culture est aux mains de ceux qui la créent: écrivains, peintres, sculpteurs, scénaristes, musiciens, artisans.
Premier problème: une maison d'édition honorable reçoit 200 manuscrits par mois alors qu'elle souhaite n'éditer que vingt livres par an, chaque livre exigeant un sérieux investissement; deuxième problème: la rétribution des droits d'auteurs, souvent deux à trois euros sur un livre de 24 euros; troisième problème: les auteurs! Quels sont ceux qui retiennent l'attention? Faut-il être académicien, une star ou un personnage public, ou s'être déjà fait un nom autrement? Être publié relève de la chance, semble-t-il, et le sort des manuscrits paraît aussi hasardeux que celui d'une bouteille jetée à la mer par un naufragé. Lettre morte? Que de "perles" perdues et il faut relever, de surcroît, qu'en quelques années le nombre de lecteurs a bien diminué... 40 à 50% de moins selon diverses sources.
Editeurs, éditrices, plus de considération, s'il vous plaît, pour les génies...pardon, les auteurs et leurs manuscrits; sinon ils prendront la poudre d'escampette et iront davantage pousser la porte des autres formes d'édition, et ce sera tout bénéfice pour eux. Souhaitez-vous sauver Willy? La culture? Dans ce cas, accueillez et aidez l'auteur comme un frère, une soeur, un cousin, une nièce... D'accord? Merci pour lui...ou elle!