Etre écrivain en 2014, paroles d'auteurs, par Thierry-Marie Delaunois
Etre écrivain en 2014, paroles d'auteurs, par Thierry-Marie Delaunois
Être ou ne pas être...
Jean-Baptiste Baronian - 1942: "...très tôt, très vite, j'ai soutenu qu'écrire est une activité comme une autre, un métier comme un autre, et que l'écrivain, lui, est un homme comme un autre... Car j'écris d'abord pour le plaisir. Et je publie ce que j'écris dans l'espoir que mon plaisir (mon idéal?) sera partagé..."
Véronique Bergen - 1962: "Ecrire aujourd'hui, c'est ouvrir des possibles, creuser des chemins de traverse, des voies hétérodoxes de vie, de pensée, de perception, de sensation; parier pour la levée de tous les impossibles qui nous limitent et atteindre par la fiction, par le concept un autre régime d'existence..."
Francis Dannemark - 1955: "Ca n'a rien à voir avec l'évolution des technologies dont on parle tant aujourd'hui. Ecrire, c'est une façon de vivre. C'est être ailleurs et ici en même temps . C'est vivre vite et lentement. C'est vivre des vies au lieu d'en vivre une seule. C'est prendre du recul pour être plus précisément au coeur des choses..."
Xavier Deutsch - 1965: "Dieu a créé le monde en le disant. Dieu dit: "Que cela soit", et cela est. Or Dieu a créé l'homme à son image. Donc l'homme est fondé de croire que son verbe, proportionnellement, comporte une capacité créative. La littérature se tient là. Les Anciens le savaient, on l'a beaucoup oublié..."
François Emmanuel - 1952: "Ecrire s'il le faut sur les débris de la langue pour tenter de faire émerger une langue plus profonde. Surtout ne pas perdre le sens de toute littérature qui fait cadeau d'intériorité, élargit notre présence à nous-mêmes et à l'autre, invite à l'écoute de l'humain comme il se donne, rit, pleure, vit et tremble."
Vincent Engel - 1963: "Etre écrivain aujourd'hui, c'est être fou sans doute. Croire que les mots ont le pouvoir de créer du rêve à partir du réel, et du réel à partir du rêve. Croire que les gens ont encore envie de s'arrêter, de s'asseoir dans un fauteuil pour ouvrir un livre et de devenir autiste pendant quelques minutes ou quelques heures..."
Bernard Gheur - 1945: "Etre un écrivain, aujourd'hui, c'est cela: la patience, la passion, l'artisanat. Se résigner à passer à l'arrière de la scène, dans les medias. Place aux people!... Beaucoup de travail, peu de gloire, de belles rencontres, parfois... Voilà, selon moi, le sort d'un écrivain aujourd'hui."
Xavier Hanotte - 1960: "Bref le statut d'écrivain ne m'intéresse pas. Non, seule l'écriture m'intéresse. Car à mon aune, écrire, c'est vivre une autre vie. Ecrire, c'est traverser les miroirs. Ecrire, c'est ouvrir les doubles fonds de la réalité? Rien de raisonnable, à coup sûr..."
Bernard Hislaire - 1957: "...c'est écrire les livres et savoir en parler dans les grandes émissions littéraires. Vous touchez ainsi au Graal de notre société de l'image, celle d'avoir le privilège de penser, et de l'exprimer publiquement. Tous les esprits bruxellois en rêvent. A Paris..."
Armel Job - 1948: "Dans la vie, nous ne voyons que le dessus des choses, nous vivons dans un axe horizontal. Le roman plonge à la verticale. Il nous emmène sous la surface, dans les profondeurs, où tout est perplexité, paradoxe, énigme. Le roman jette à bas nos triviales certitudes..."
Caroline Lamarche - 1955: "C'est, entre autres, inventer sa propre vie. Nul ne saura donc ce qui est vrai ou faux dans ma biographie et si j'ai vraiment été assez sotte pour tracer un jour quelques mots avec mon propre sang. Mais toutes mes définitions, je vous l'assure, sont vraies."
Thomas Lavachery - 1966: "...mon éditrice, Geneviève Brisac, m'a glissé ces mots entre deux portes: "Nous sommes des saltimbanques". Je me suis demandé ce qu'elle voulait dire par là. Avait-elle fumé, par hasard? Forcé sur le champagne? Quant à moi, je réduisais le métier aux longues heures passées devant l'ordinateur, point final. Labeur romantique de l'homme seul convoquant rêves et démons..."
Pierre Mertens - 1939: "Il y a la littérature et il y a les livres: ce n'est pas la même chose, non plus. Les livres écrits pour la plage sortent désormais en toutes saisons. Sans ces pavés - gros ou menus - il arrive que la plage même disparaisse... Un écrivain "en temps de crise" se devrait d'échapper au frivole comme d'un asile de fous qui serait la proie des flammes."
Carl Norac - 1960: "Etre. Passeur, avant tout passant. Ecrivain aujourd'hui. Ne pas être bon qu'à ça. Ne plus faire son Beckett...Savourer le bel aujourd'hui, ironique ou numérique. Etre page pour mieux la tourner. Passer par le verbe. Passeur, avant tout passant. Puis être un homme, accessoirement de lettres."
Colette Nys-Masure - 1939: "Etre écrivain, c'est tenter de saisir au-delà du visible l'invisible que nous négligeons, entraînés par la vie courante, usés par la routine. L'invisible en nous, puisque l'écriture creuse l'obscurité intérieure, ainsi que le suggère Henry Bauchau. L'invisible autour de nous: débusquer, sous l'insignifiance apparente, la valeur, la saveur des êtres et des choses..."
Jean-Luc Outers - 1949: "...c'est s'éloigner, prendre du recul, s'échouer loin de soi, s'immerger dans la solitude du silence et dire ce que le langage oral ne peut pas dire, c'est ne rien savoir de ce qu'on va écrire et se laisser porter par les mots comme on se laisse soulever par le vent..."
Patrick Roegiers - 1947: "L'écrivain ne sert à rien. Pas plus aujourd'hui qu'hier. Et moins encore demain. Comme dit Marguerite Duras: "Tout le monde peut devenir écrivain comme tout le monde peut devenirélectricien". A quoi sert-il donc d'écrire? A rien, évidemment. Ecrire ne sert qu'à écrire. Comme dit Ernest Hemingway: "Un écrivain doit écrire". Il n'y a pas d'autre raison d'écrire."
Eric-Emmanuel Schmitt - 1960: "Peut-être est-ce cela, la spécificité contemporaine: le poids du passé dans le présent. Nous autres, auteurs vivants, on nous bouscule, on nous pousse devant les statues, on nous mesure, on nous met en rivalité avec les morts, on nous juge à l'aune des défunts! Quelle partie inégale..."
Henri Vernes - 1918: "Le tout est de savoir si l'on écrit encore. On affirme que les oies vont naître sans plumes. Pour ce qu'elles servent désormais! L'ordinateur a mécanisé le mot, la virgule, le style. L'écrivain est condamné à se changer en technicien du numérique et n'importe quel quidam sans talent peut libérer ses fantasmes d'écriture sur Internet. La médiocrité à la portée de tous."
François Weyergans - 1941: "Etre écrivain aujourd'hui, c'est contribuer, à sa modeste place, à ce que la littérature continue d'exister. On est là pour ça, dans un monde qui semble méconnaître la littérature mais qui en a fondamentalement besoin..."
Source: la Libre Culture, 4 juin 2012
Autres contributions à cette page consacrée aux auteurs:
Thierry-Marie Delaunois:
"Témoin, narrateur de vies, passeur de sentiments, d'émotions et de réflexions, et caméléon d'une certaine façon. Etre à l'écoute de l'intime, de l'indicible, de l'invisible, avant de tenter de traduire en mots les élans du coeur et de l'esprit notamment. Ecrire touche selon moi au sacré car c'est créer, bâtir une cathédrale, un mausolée, un sanctuaire parfois. Seul matériau: les mots, mais avoir malgré tout à portée de main le Larousse ou le Robert si le ciment ne prenait pas. Ecrire, c'est vibrer, frémir, jouir, quitter son enveloppe, se glisser hors du temps qui use, massacre d'une part, répare et cicatrise à l'occasion. Témoin, narrateur, passeur, caméléon car parfois on se fond comme le lecteur est happé par le récit. Ecrivain aujourd'hui? C'est être à part pour bien des gens, un inadapté à la société actuelle, voire handicapé, perpétuellement observé, scruté, sondé. Gloire et crucifixion cohabitent: une phrase mal interprétée, un mot de trop, un récit de moindre qualité et c'est le coup de canon en pleine tronche. L'écrivain du vingtième siècle? Un téméraire pélerin car la reconnaissance, c'est souvent une autre histoire... Un funambule que cet être! "La lecture est mon épouse, l'écriture, ma maîtresse, je suis donc comblé!" ai-je sorti un jour en plein dîner. Conséquence: un convive s'est étranglé. Qu'en tirer? La littérature n'indiffère pas totalement.
Carine Geerts:
"J'ai toujours été un rat de bibliothèque, amoureuse de la lecture. Au fil des années, ma propre création littéraire devint de plus en plus pressante mais je n'osais m'y risquer. Je voulais m'y donner d'un coeur léger et trouver le calme nécessaire dans ma vie personnelle pour me vouer à fond à l'écriture. Depuis peu, je suis gagnée par ce virus. Ecrire est devenu pour moi un plaisir solitaire et je m'y adonne à longueur de journée. J'en ai fait mon passe-temps préféré, délaissant la télévision sans m'en rendre compte. J'aime tellement cela, que je n'ai plus envie de ne plus le faire."
"Anonyme":
"Ecrivain, auteur,... Il y a des écrivains qui, en y regardant de plus près, sont plus auteurs de romans, enchaînant récit sur récit sans élever leur style de manière à être compris et vendus comme de petits pains le dimanche matin, tandis que d'autres, auteurs de seulement un ou deux romans, sont de réels écrivains fignolant leurs oeuvres tant sur le fond que sur la forme. La reconnaissance de certains se fait alors au détriment des autres. Etre écrivain aujourd'hui, non auteur, c'est être un messager, porter sur ses épaules espoirs, réconfort et consolations qu'il lui faut transmettre en urgence: le monde ne se porte pas bien, parasité de crises; la plupart d'entre nous survivons tant bien que mal. Le rôle de l'écrivain? Difficile, et pour un réel partage, une vraie transmission, il vaut mieux ne pas être au sommet pour pouvoir écouter. Car c'est d'abord de l'écoute. Ecrire mène à l'écoute, qui reconduit à l'écriture. Un aller-retour permanent."
NOUVEAU!
Louise Erdrich:
"Je m'attache à des formes traditionnelles du roman que certains méprisent, notamment en continuant à écrire à la main, sans utiliser ni twitter ni facebook, tout en ayant quand même un ordinateur pour m'aider à mettre mes mots en forme. D'un point de vue plus philosophique, je fais la distinction entre "moi écrivain" et "moi citoyen". (...) En tant qu'artiste, je veux pouvoir témoigner sans ennuyer le lecteur. Je ne veux pas écrire de traité polémique, ce n'est pas mon mode d'expression. Ma stratégie est de trouver une histoire, une relation entre des personnages et des émotions pour exprimer ces faits toujours actuels (Expropriations de terre appartenant aux Amérindiens,...). Ce, le plus honnêtement possible, avec une dose de tension, pour captiver le lecteur. On ne peut ignorer ce qui se joue à chaque seconde de notre vie. Les traumatismes anciens continuent à nous influencer. Je cherche à exprimer dans mes écrits un sentiment de perte et une vraie détermination à changer les choses."
D'autres auteurs partageront encore leurs points de vue sur cette page...