L'Elixir d'amour, de Eric-Emmanuel Schmitt, par Thierry-Marie Delaunois

  "Adam, tu as du charme, un corps souple, des épaules sécurisantes, tu sens bon, ta main chaude électrise le bras qu'elle frôle, ta galanterie honore les femmes, ta compagnie plaît par sa culture mêlée d'humour, tes yeux savent signifier le désir en flattant celle qu'ils fixent et tu te révèles un excellent amant, mais..."  Mais Adam et Louise sont à présent séparés après avoir vécu une passion commune qui a duré cinq ans, Louise ayant quitté Adam resté à Paris, elle s'étant réfugiée à Montréal, plaçant de cette manière un océan entre eux, même davantage. Pourtant Adam décide d'entamer une correspondance avec Louise, souhaitant transformer leur passion blessée en affection sereine, ce à quoi Louise répond: "Adam, si l'amitié est le mouroir de l'amour, je hais l'amitié." L'amour n'est-il que mystérieuse alchimie ou relève-t-il du spirituel? L'élixir évoqué par notre Adam n'est-il qu'utopie?

  Court roman paru en 2014, rédigé sous forme de "correspondance amoureuse dédiée à l'amour, qui réserve une surprise confirmant, aujourd'hui comme hier, que rien n'est jamais joué" (Martine Freneuil, Femme actuelle), d'un style actuel mais à l'écriture raffinée, "L'Elixir d'amour" de Eric-Emmanuel Schmitt, normalien né en 1960, docteur en philosophie, dramaturge et auteur de nombreuses pièces, romancier également réalisateur, nous propose un dialogue enlevé parfois très spirituel entre deux êtres séparés l'un de l'autre par des milliers de kilomètres, une sorte de tête à tête par écrans interposés, cette séparation voulue par Louise qui ne supportait plus le libertinage manifeste de Adam: "Les hommes font l'amour pour jouir, pas pour dire qu'ils aiment. Quand j'allais rejoindre des maîtresses, je n'entaillais pas mon attachement pour toi, je ne t'adorais pas moins, j'ambitionnais seulement de prendre du plaisir et de leur en dispenser. (...) Il faudrait reconstruire le lexique et isoler ces deux mondes distincts, celui du sexe, celui de l'amour, en bannissant tout terme commun", une vision discutable pourtant bien ancrée dans l'esprit de Adam, notre psychothérapeute.

  Savant cocktail d'élans du coeur et de l'esprit? Cet élixir naîtrait-il toujours de manière irrémédiable entre le praticien et son patient au cours d'une thérapie de type psychanalytique? Adam le croit fermement mais le doute finit bientôt par s'installer. Louise est-elle en cause par les propos qu'elle lui tient? Ils se sont lancé un défi: provoquer l'amour! Pour quel résultat au bout du compte et la confiance règne-t-elle entre eux? "En fin observateur des caprices du coeur" (quatrième de couverture), Schmitt joue autant avec nous qu'avec ses personnages, une Lily belle, jeune et fraîche débarquant soudain dans la vie de notre Adam, le happant dans un tourbillon sensoriel et passionnel. Sincère? Adam alors se confie à Louise qui continue à le décrire de cette manière: "...mais ces qualités, quoique nombreuses, sont résistibles, mon cher, même si celle qui t'écrit ne sut s'en protéger naguère. N'imagine pas que toutes mes amies auraient voulu prendre ma place... Qu'est-ce qui te ferait triompher? A part cette fatuité hors du commun..."

  Comment Adam réagira-t-il à ce type de déclaration? Adepte de la modestie, notre psychanalyste? Et qu'est-ce que Sigmund Freud appelle-t-il exactement "Transfert"? Que ceux et celles qui n'ont toujours point sauté le pas près de trois ans après la parution de "L'Elixir d'amour" se précipitent sans hésiter sur cette correspondance éveillée d'un auteur reconnaissable entre mille par son style et son écriture mozartienne! Les tréfonds des attirances et des sentiments vous attendent, entrée garantie,  tout public admis...mais ressortirez-vous indemnes de l'aventure?