La vengeance du pardon, de Schmitt, par Thierry-Marie Delaunois
La vengeance du pardon, de Schmitt, par Thierry-Marie Delaunois
"Quant à elle... Si elle savait ce qu'elle espérait de lui, elle ignorait toujours ce qu'elle espérait pour elle. Cependant, ça frémissait, le dénouement se profilait dans un futur proche, elle le sentait, il surgirait. Elle finirait bien par élucider pourquoi elle visitait ce pervers depuis des années, pourquoi elle s'infligeait de le côtoyer, de le regarder, de l'écouter..." Sam Louis, ce pervers, dangereux criminel, quinze meurtres accompagnés de viol à son actif, l'assassin de Laure, la fille d'Elise qui a quitté Paris pour s'installer non loin de la prison où il est incarcéré. Que cherche en fait Elise que "l'aversion tenait debout, qui sans la haine pourrirait probablement déjà dans sa tombe?" Que Sam prenne conscience de l'horreur de ses actes?
Fiction littéraire regroupant sous forme de nouvelles quatre destinées distinctes toutes parsemées de sentiments parmi les plus les plus violents et les plus secrets, de ceux qui souvent prennent le dessus au détriment de notre part de bonté, de véritable humanité, "La Vengeance du pardon" de Eric-Emmanuel Schmitt, écrivain multi-récompensé dont on ne dresse plus très souvent la bibliographie tant elle est consistante, même foisonnante, nous présente différents visages du comportement humain animé par l'envie, la perversion, l'indifférence, le crime, le tout relaté avec ce talent de dramaturge qu'on lui connaît.
Quatre destinées particulières...
"Les soeurs Barbarin": Lily et Moïsette sont jumelles, tout semble aller pour le mieux entre elles mais c'est soudain la cassure, dès l'âge de quatre ans, et le début d'une rivalité féroce, l'amour de Lily pour sa soeur parvenant difficilement à contrer la haine de l'autre. Comment cela finira-t-il? Une nouvelle très réussie, la narration ciselée...
"Mademoiselle Butterfly": Dix hommes, de hauts responsables tenant les rênes d'une grosse banque, sont tout à coup convoqués et en pleine nuit par leur patron William Golden dont le fils a commis l'irréparable: une malversation financière pouvant les mener à la faillite pure et simple de la société. Que peut-on encore sauver lorsque l'honneur et l'argent sont perdus? Une nouvelle sous haute tension mais l'amour bien présent...
"La Vengeance du pardon": Elise cherche-t-elle à déstabiliser l'assassin de sa fille Laure, voire davantage, en allant régulièrement le visiter dans sa prison? Elle finit par établir le dialogue mais à quel prix? Une nouvelle quelque peu dérangeante, des entretiens parfois tendus et même houleux au parloir de la prison...
"Dessine-moi un avion": Daphné huit ans, échappée de chez elle, atterrit dans le jardin de Werner von Breslow, 93 ans, un aviateur retraité de la dernière guerre, et munie d'un carnet et d'un crayon, lui demande sans préambule de lui dessiner un avion. Werner s'exécute, la sympathie s'instaurant avec le temps, réciproque, mais Werner a un passé trouble qui soudain le rattrape. Où et comment se place le pardon dans ce récit? Une nouvelle fort(e) en contrastes faisant la part belle à Antoine de Saint-Exupéry. Tiens donc...
Le pardon...la vengeance...des sentiments contradictoires ne pouvant en théorie cohabiter, coexister mais la nature humaine est d'une telle complexité, tromperies et manipulations investissant parfois l'être. Le profit ou le pouvoir à la clé? Pardonner, est-ce envisageable du côté d'Elise après avoir tenu le discours suivant à Sam: "...Me crois-tu assez bête pour imaginer que je vais récupérer ma fille? Vraiment? Tu présumes que j'ai du goudron dans la cervelle? Elle est partie, Laure. A cause de toi. Elle n'est plus là. Nulle part. Même pas au cimetière. Absence totale. Totale! Pas de traces. Pas de signe. (...) Rien! Alors, je sais bien qu'un fumier comme toi ne me la rendra pas..." Et?
Il fallait Eric-Emmanuel Schmitt, nul autre auteur, pour nous concocter de telles variations symphoniques et psychologiques autour du thème du pardon sous diverses teintes, parfois majeures, parfois mineures: l'envie, les frustrations, la jalousie, la dissimulation, les manipulations, la vengeance...le pardon? Le pardon clé de tout et sans aucun dommage d'un côté comme de l'autre? Ah cette insoutenable complexité de l'âme, l'écriture de Schmitt toujours aussi précise, stylée, et d'une fluidité sans pareil. Quant aux dialogues, on reconnaît fort bien à travers ceux-ci l'empreinte de l'homme de théâtre. "La Vengeance du pardon"? Tel les quatre mouvements d'une grande et profonde symphonie épique!