Le cortège de la mort de Elisabeth George commenté par Thierry-Marie Delaunois
Le cortège de la mort de Elisabeth George commenté par Thierry-Marie Delaunois
"Incapable de regarder Meredith, il contempla les vitraux autour de l'autel et il se dit qu'ils devaient dater de l'époque victorienne parce que l'église avait été reconstruite, il lui semblait bien, et il y avait Jésus qui disait: "C'est moi, n'aie pas peur", et il y avait Saint-Pierre, et il y avait le bon Pasteur, et il y avait, oh oui, il y avait Jésus avec les enfants et Jésus demandait aux petits enfants de venir à lui et c'était là le problème, pas vrai, que les petits enfants avec tous leurs soucis n'aient pas pu venir à lui? C'était bien là le vrai problème, non?"
Roman psychologique à l'anglaise bâti par une Américaine talentueuse, véritable patchwork à savourer à petites doses, "le cortège de la mort" inclut deux intrigues imbriquées en chapitres distincts: une atmosphère de soupçons dans un carrousel de fausses pistes imprègne l'oeuvre (une brique de 1013 pages en Poche) dans laquelle évoluent Thomas Linley, inspecteur déconnecté et fragilisé, Isabelle Ardery, commissaire intérimaire prudente et hésitante, Barbara Havers, sergent quelque paumée et déboussolée, Winston Nkata, son flegmatique acolyte, Gordon Jossie, chaumier consciencieux et tranquille, Meredith Powell, amie de la victime en quête de réponses, Rob Hastings, le frère éploré de la défunte, et Gina Dickens, poupée affriolante tombée amoureuse de Gordon.
Des personnages souvent atypiques, une enquête fouillée sur un crime sordide, un étonnant voyage dans la New Forest, un intéressant aperçu du métier de chaumier, une mise en place de l'intrigue très étudiée, "indéniable tour de force" (Alexandre Fillon - Madame Figaro), Elisabeth George nous emporte, n'y allant pas par quatre chemins même si justement quatre tandems se dégagent de l'oeuvre (Linley - Ardery, Havers - Nkata, Gordon - Gina, Meredith - Gemima(+)) avec parfois des heurts et confrontations à la clé mais telle est la nature humaine: complexe, tourmentée, toujours en quête de savoir et de vérité. D'une lenteur voulue ceci de manière à pouvoir bien s'imprégner des personnages et situations, le récit évoluera tel un paquebot vers sa destination finale, le suspense croissant sur la fin: bien accroché, le lecteur n'aura point besoin de bouée lorsque la conclusion émergera, surgissant d'un océan de troubles et d'incertitudes.
La traduction française laisse parfois à désirer quant au style (quelques lourdeurs éparses...), le comité de lecture d'un éditeur parisien aurait sûrement tiqué mais l'oeuvre étant remarquablement construite et inspirée, cela tombe aux oubliettes tant le récit regorge d'instants précieux: "Meredith était silencieuse. Il avait toujours sa main sur le bras de la jeune femme et il se rendit compte qu'il l'agrippait très fort et qu'il devait lui faire mal. Il sentit les doigts de Meredith bouger contre les siens qui étaient comme des serres sur sa peau nue, et il s'aperçut qu'elle n'essayait pas de lui faire relâcher son étreinte mais qu'elle lui caressait les doigts, puis la main, décrivant avec lenteur de petits cercles pour lui dire qu'elle comprenait son chagrin, même si en réalité elle ne pouvait pas comprendre..." L'étreinte du récit? Comme des serres sur la peau du lecteur: l'oeuvre l'agrippe, il finit par la caresser, la comprendre, entre dans le cercle...dans le cortège de la mort. A corps défendant?? La solution dans la New Forest!