Le Huit et Le feu sacré de Katherine Neville lu par Thierry-Marie Delaunois
Le Huit et Le feu sacré de Katherine Neville lu par Thierry-Marie Delaunois
"Je savais que j'aurais dû aller tout droit aux autorités, mais j'étais terrifiée. Saul avait été assassiné dans cette salle seulement quelques minutes après que j'en fus sortie. Fiske avait été assassiné seulement quelques instants après l'interruption de la partie d'échecs. Dans les deux cas, les victimes se trouvaient dans des lieux publics, avec des gens tout proches. Et dans les deux cas Solarin était présent. Solarin avait un revolver, non? Et il était là. A chaque fois. Ainsi donc nous jouions un jeu. Très bien, dans ce cas, j'en découvrirais les règles toute seule." Danger? Faux-semblants? Dans quelle partie Cat s'était-elle jetée avec toute l'inconscience de la jeunesse? Echec et mort?
L'auteur: Katherine Neville, au départ mannequin, ensuite consultante internationale en informatique, photographe, une expérience dans le domaine énergétique, un temps vice-présidente de la Bank of America.
L'oeuvre: un roman époustouflant selon le Figaro Magazine, classique de la littérature aussi long qu'un Ken Follett - 958 pages en Pocket -, véritable encyclopédie par ses morceaux d'érudition et échiquier aux amples narrations, dialogues très aboutis et descriptions fascinantes.
L'atmosphère: du mystère, un épais mystère pour une partie d'échecs grandeur nature, arcanes en un monde feutré, des codes établis et règles immuables, de dangereuses ombres évoluant au coeur d'un "Huit" aux couleurs dignes de l'arc-en-ciel. Le jeu Montglane, qu'est-ce en réalité? Une partie diabolique où les personnages ne sont que de petits pions sans cesse manipulés?
Le récit: double, à près de deux cents ans de distance: la Provence, 1790, un "printemps sanglant" sur l'abbaye de Montglane dont la mère supérieure décide soudain de disperser les pièces d'un mystérieux jeu d'échecs, cadeau des Maures au roi Charlemagne, Mireille et Valentine, deux cousines, emportant alors l'une des pièces, leur mission: la mettre à l'abri; New-York, 1972, Catherine Velis, 24 ans, expert-comptable pour un important groupe, dans les soucis, se retrouve dans l'obligation de se lancer sur la piste du légendaire échiquier, ce jeu Montglane visiblement maudit qui la mènera jusqu'aux portes du Sahara en tant que... Reine Noire! Mais qui sont les Blancs? Les ennemis?
A lire de préférence en compagnie d'un petit amontillado, "Le Huit" de Katherine Neville nous entraîne au coeur d'un vaste récit dont les personnages, souvent pittoresques et hauts en couleur, se démènent tant bien que mal pour savoir qui est qui. Qui est dans quel camp. Bien que l'oeuvre souffre par-ci par-là de défauts de traduction, le roman, très réussi, captive surtout par la quête des deux cousines parties pour Paris où elles vivront La Terreur. Quel est le rôle de Talleyrand d'une part? Quel jeu joue en fait Solarin d'autre part?
Jeu de pistes parfois confu, voire touffu, il arrive que l'on s'y perde un peu mais habilement Katherine Neville nous ramène sur la bonne voie: des chapitres bien distincts - de jolies citations en préambule - aux titres parfois très mystérieux nous replacent toujours au bon endroit dans le bon siècle, nous permettant de suivre soit Mireille dans ses tribulations, soit Catherine dans ses pérégrinations. Bien balancé, "Le Huit" ne nous essouffle pas ou si peu, privilégiant à tour de rôle le suspense, la quiétude, les personnages dont l'âme, le coeur et l'esprit tressautent à la moindre alerte.
Quant à Catherine, quelles sont en fait ses motivations? "Ce n'était pas seulement de la peur et de l'effarement que je ressentais tout en descendant la rue pour gagner le refuge douillet de mon bureau. C'était de la détermination. Déchirer le voile mystérieux qui enveloppait ce jeu, je devrais découvrir quelles étaient les règles et les joueurs. Et vite. Parce que les mouvements des pièces étaient beaucoup trop rapides pour ma sécurité." Et celle du lecteur? Est-il en fin de compte simple spectateur ou se fera-t-il lui aussi harponné par "Le Huit"? Suspense...mystère...de quoi se verser un doigt de sherry à chaque changement de chapitres et avant d'affronter...La Reine Blanche. Santé!
Le feu sacré
"Mais je savais que si ce Grand Jeu dans lequel je me trouvais embarquée était aussi dangereux que tout le monde semblait le croire, il ne me restait pas beaucoup de temps pour en profiter. Surtout si je traînais trop longtemps à faire des ronds dans l'eau..."
Faisant suite au "Huit", "Le feu sacré", "entre fresque historique et quête d'identité" (A. Bo. Le Figaro Magazine), nous replonge dans cet univers particulier du monde des échecs: pourtant bien cachée, voire ensevelie, la Reine noire resurgit, inquiétante, Solarin n'y comprenant rien. Par quel tour de passe-passe...? Mais, soudain, le destin frappe, laissant la petite Alexandra orpheline, Katherine Neville ayant construit son oeuvre telle une machine infernale.
Qu'est-ce qui se trame à nouveau? Complexe, élaboré, "Le feu sacré" nous entraîne à différentes époques sur les traces d'un bien singulier échiquier dont les pièces sont dispersées. Le secret de ce jeu? A découvrir au bout de 650 pages drues, ardues, compactes, où prédomine la narration.