Le sermon sur la chute de Rome de Jérôme Ferrari, lu par Thierry-Marie Delaunois
Le sermon sur la chute de Rome de Jérôme Ferrari, lu par Thierry-Marie Delaunois
"...elle ne voulait même pas lui parler d'amour et de compassion, c'étaient des mots qu'il était incapable de comprendre, mais comprenait-il au moins en quoi consistaient ses devoirs, comprenait-il que s'il s'entêtait à vouloir leur échapper, il demeurerait pour toujours la petite merde en laquelle il s'était métamorphosé en un temps record, avec un talent qui forçait l'admiration, elle était prête à le reconnaître,et..." Et...? La complexité des relations humaines, le respect, l'acceptation ou le rejet, de quoi deviser et remplir des pages et des pages d'intenses réflexions et, si l'on accepte la digression, c'est alors parti telle une saga...
Roman de l'inéluctable et d'une réelle densité, d'un auteur né à Paris en 1968 en poste depuis 2012 dans les Emirats arabes Unis, Prix Goncourt 2012 d'une écriture exigente, "Le sermon sur la chute de Rome" de Jérôme Ferrari développe un fleuve narratif au cours compact, les titres des chapitres provenant des sermons d'Augustin à Hippone, Ferrari jetant ici "une lumière impitoyable sur la malédiction qui condamne les hommes à voir s'effondrer les mondes qu'ils édifient, et à accomplir, ici-bas, leur part d'échec en refondant sans trêve, sur le sang et les larmes, leurs impossibles mythologies."
Un village corse haut perché, un bar en profonde mutation destiné à devenir "le meilleur des mondes possibles", les gestionnaires: deux enfants du pays, apparemment tout devrait se dérouler à merveille mais des blessures resurgissent soudain, anciennes, profondément ancrées, les êtres devenant alors victimes de leur âme et de cette propension à se corrompre. Libero et Matthieu tiendront-ils le coup? Le modeste bar restera-t-il lumière aux yeux de ses clients assujettis à des rêves indigents de bonheur? Et de quel type de bonheur?
Au fil de l'oeuvre, on découvre des personnages aux réalités complexes, dont l'état d'âme fluctue sans cesse au gré des saisons et des événements parfois bien curieux; Ferrari, qui a enseigné en Algérie et en Corse, nous mène souvent à la réflexion, nous forçant à l'occasion à remonter le cours de son récit. Intentionnel? Sans doute pas, et qu'en est-il finalement d'Aurélie dont les pensées ne peuvent que se charger en émotion? "...elle était prête à le reconnaître, et personne ne pourrait plus l'aider car il serait trop tard, et les jérémiades lui seraient interdites, comme le confort des regrets, elle y veillerait, à moins qu'il ne soit devenu si pourri de bonne conscience qu'il n'éprouve même pas la tentation confortable des regrets, mais s'il demeurait encore en lui quelque chose du frère qu'elle aimait..." Sacré Jérôme: avec des phrases d'une longueur d'une demi-page, on pourrait aisément attraper le tournis, mais ne serait-ce pas une manière de sa part - manoeuvre? - de nous entraîner irréversiblement à sa suite? Le comité Goncourt s'est manifestement laissé prendre par l'impitoyable sermon. Une lecture conseillée? A ceux et celles qui ont l'endurance d'une traversée du désert au sens propre comme au sens figuré.