Les deux messieurs de Bruxelles de Eric-Emmanuel Schmitt lu par Thierry-Marie Delaunois
Les deux messieurs de Bruxelles de Eric-Emmanuel Schmitt lu par Thierry-Marie Delaunois
"Quand le prêtre demanda à Eddy Grenier s'il consentait à épouser Geneviève, l'un des deux hommes, le brun, proféra un oui ferme. Puis, quand le prêtre posa la question symétrique à Geneviève, le blond acquiesca en s'empourprant. Malgré les dizaines de mètres qui les séparaient de la cérémonie, ils se comportaient comme si le ministre de Dieu, sous la lumière jaune des vitraux, s'adressait à eux. Le curé annonça "Je vous déclare unis par les liens sacrés du mariage"et, tandis que, devant le Christ favorable, les mariés officiels s'embrassaient sur la bouche, les mariés officieux firent de même dans leur coin." Un amour vrai, authentique, entre Jean et Laurent, une union, celle de Eddy et Geneviève, qui se révèlera chaotique, une relation sans contrainte d'une part, un mariage soumis aux règles de la bienséance d'autre part, "Les deux messieurs de Bruxelles", nouvelle romanesque de E.-E. Schmitt, auteur prolixe et éclectique né en 1960, nous parle d'amour, d'un amour ici clandestin. "Comprenne qui voudra...". Une narration parfois serrée, condensée, des mots qui sonnent justes, quelques surprises mêlées d'originalité émaillent l'oeuvre au début intriguant: Geneviève, octogénaire, hérite d'un parfait inconnu. Pourquoi donc?
Egal à lui-même, Schmitt nous entraîne sans détour au coeur d'un suspense au style subtil inimitable: on reconnaît l'auteur, ses manières, son habileté à fouiller le coeur pour en extirper sa complexité. Quelle issue pour Jean et Laurent? Celle-ci dépendrait-elle de l'autre couple qui, lui, se défait? "En amour, on croit être deux alors qu'on est souvent trois" nous apprend l'écrivain. C'est-à-dire? Une petite réussite, en tout cas, qui précède quatre autres nouvelles très différentes l'une de l'autre:
Le chien
"Lorsque Samuel Heymann se pencha vers moi pour s'enquérir de ma douleur, j'eus l'impression qu'il s'adressait à la maladie plutôt qu'à moi, que je me dissolvais dans le cas que je représentais, qu'il s'occupait de mon malaise davantage par nécessité morale que par sympathie. Sa philanthropie méticuleuse, inflexible, commandée, sentait le devoir, pas la spontanéité; expression de la volonté, elle intimidait." Curieux médecin que ce Samuel: veuf et solitaire, affublé d'un chien, un beauceron, père d'une Miranda, amateur de livres et de whiskys. Des silences, de la sensibilité, des secrets - un très lourd secret -, d'une narration concise, "Le chien" allie brillamment amour, haine, vengeance et pardon. "Un héros, c'est un homme qui essaie d'être un homme toute sa vie, tantôt contre les autres, tantôt contre lui-même." Vrai ou faux? Après une escale à Bruxelles, nous voici à présent dans le Hainaut, une fort belle région, où nous suivons avec intérêt, parfois effarement, Samuel et Argos dans les bois. Une nouvelle empreinte d'inattendu.
Ménage à trois
Veuve, sans argent, la trentaine, deux enfants à nourrir, elle sait chanter. Quand elle rencontre un diplomate en provenance de Copenhague, ils se mettent bientôt tous deux en ménage, son Danois finissant par l'épouser, récoltant par ailleurs les partitions du mari musicien décédé. Quand l'amour de l'art s'instille, s'interpose...pauvre d'elle! Il aime plus son premier mari qu'elle-même. Cruelle destinée! Le discours est ici différent, parfois énigmatique, mais restant plaisant, schmittique, et nous faisons étape à Vienne!
Un coeur sous la cendre
Un certain romantisme, de singuliers rebondissements, une nature forte et belle - nous sommes en Islande - émotion garantie, cette nouvelle surprend également par sa tension et ses dialogues plus nombreux; elle met en scène une femme mûre, Alba, son mari Magnus, beau brun, son fils Thor, 14 ans, sa soeur aînée Katrin, Jonas 16 ans, le fils de cette dernière, et c'est sans parler de ce volcan qui se réveille subitement, explosant comme les sentiments et les passions.Touchante, cette nouvelle, fort condensée, nous entraîne dans un jeu souvent bien dangereux. Ah le coeur humain!
L'enfant fantôme
Car amour et avortement ne semblent jamais aller de pair, ne font jamais bon ménage. Paris, une femme sur un banc nourrissant les oiseaux, plutôt bourgeoise; un homme surgit, s'assied auprès d'elle; ils s'ignorent superbement, pourtant ils sont mari et femme! Que s'est-il passé? Courte histoire très révélatrice d'une époque, parlant également d'amour, "L'enfant fantôme" nous agite, nous trouble, nous force à la réflexion, nouvelle à l'habile scénario. Les points communs entre ses cinq histoires? Dominent le thème de l'architecture secrète, l'importance d'une nécessaire médiation (Le chien), l'incarnation symbolique (David, dans "Les deux messieurs"), la fantaisie et l'originalité. A lire? En compagnie d'un petit beaujolais de préférence, vous savez, la bouteille que vous dissimulez sous l'évier.