Meurtres pour rédemption de Karine Giébel lu par Thierry-Marie Delaunois
Meurtres pour rédemption de Karine Giébel lu par Thierry-Marie Delaunois
"Le bonheur? Non. L'enfer. De toute façon, ça avait toujours été l'enfer. Partout, tout le temps. La cour...Carré de goudron entre quatre murs coiffés de barbelés. Inhumaine, comme tout le reste. Mais un peu d'air, putain que c'est bon! Surtout quand on a pris perpète. Non, jamais ils ne me laisseront sortir. Peut-être quand j'aurai soixantes piges et des rhumatismes jusque dans la racine des cheveux. Dans plus de quarante ans..."
L'univers carcéral. Violent. Sans pitié. Sans concession. Discipline de fer, quotidien d'enfer, illusions au placard, l'espoir verrouillé. Marianne, vingt ans, criminelle condamnée à perpétuité, au caractère entier, explosif. Daniel, beau maton, chef autoritaire, fier. Solange, dite La marquise, gardienne cruelle, sadique; Justine, plus souple mais ferme. "Un choc comme je n'en ai jamais eu!" prévient Gérard Collard; "...un suspense implacable...un portrait de femme écorchée..." annonce 24 Heures; en Pocket: une brique de 989 pages, aussi longue qu'un Ken Follett, "Meurtres pour rédemption" de Karine Giébel dépeint une femme, Marianne, les barreaux comme seul horizon, aucun espoir de fuir sa cellule ou seulement en rêve. Un jour, pourtant, une chance de liberté, mais...le prix à payer... Increvable ou pas, la battante?
Horreurs et humiliations, affronts et insultes, haine et révolte, ce deuxième roman est d'un bout à l'autre émaillé de rouge et de noir, Giébel n'ayant pas fait dans la dentelle, ne s'étant pas perdue en chemin, une réussite dans le genre quant au ton et au style également, style net, ni fleurs ni fioritures, parfois du morse mais pourquoi s'encombrerait-on l'esprit du superflu? Et Giébel connaît ce milieu, ses lois, son rythme, son souffle, ses contraintes, étalant son savoir, développant minutieusement la psychologie de ses principaux protagonistes. Souvent de fortes personnalités, cassantes, mais nuancées et empreintes d'élans parfois singuliers, inattendus. Suffit d'étudier la complexité de la relation de Marianne avec Daniel pour s'en rendre compte.
Mais quel message tirer de cette brique? La véritable liberté n'est-elle pas de ce monde? Peut-on malgré tout la ressentir lorsqu'on est incarcéré? Peut-on éventuellement se sentir encore plus entravé, prisonnier, une fois à l'extérieur? En cause la dépendance? Marianne crie, hurle, se bat, se défend, gémit, sanglote, se rebiffe... Est-ce une vie? De la survie? Quant à Franck le policier, il est lui aussi d'une complexité sans pareil: surprenant, venimeux, retors, affable... Marianne acceptera-t-elle sa proposition? Roman sans égal, bien écrit, au scénario abrupt, "Meurtres pour rédemption" surprend, dérange, accable; les âmes sensibles s'abstiendront d'accompagner la captive en cellule, dans la cour, au parloir, à l'infirmerie. Marianne, ses pensées, ses hallucinations, ses descentes... "C'est comme une sorte de paix intérieure. Ils appellent ça la sérénité, je crois. Longtemps, j'ai voulu la liberté... J'en rêvais, chaque jour, chaque nuit... Après, j'ai cru que la liberté, ça n'existait pas dans ce monde... Tu me promettais une nouvelle vie, mais j'avais peur...de tout... Même de cette fameuse liberté... Et puis j'ai compris, enfin..." Marianne finira-t-elle par s'évader? Le lecteur, lui, ne pourra que difficilement s'échapper, s'extirper de ce roman-prison, sortir indemne de l'univers de Giébel. Meurtres pour rédemption la grande évasion? C'est à voir et certains y verront du Nikita... si pas davantage.