Comme des larmes sous la pluie de Véronique Biefnot lu par Thierry-Marie Delaunois
Comme des larmes sous la pluie de Véronique Biefnot lu par Thierry-Marie Delaunois
"C'était la première phrase que Naëlle lui adressait, un bon début; d'autant que sa voix douce, grave, donnait au moindre de ses mots un étrange écho, inhabituel et profond. Les plats arrivèrent, Céline ne se sentit plus obligée de parler. En attendant les cafés, elle entreprit néanmoins d'en savoir davantage; cette jeune fille l'avait intriguée dès le début: son apparence, bien sûr, tellement particulière, tout droit sortie des pages d'un magazine féminin, grande, mince, blonde, des yeux verts, limpides, changeant de nuance selon ce qu'ils regardaient." Etrange Naëlle...
Prix des lecteurs 2012, récit en deux temps - avant et après le choc - au scénario entrecoupé d'angoissantes séquences, aventure romantico-dramatique que l'on pourrait également qualifiée de saisissante, "Comme des larmes sous la pluie" est la première oeuvre d'une artiste plurielle à l'esprit vagabond en période d'écriture: actrice, peintre, metteur en scène, auteur, cela se sent, on le vit au fil des pages que l'on tourne avide de découvrir ce qui va suivre. Un style fluide, délié, parfois fleuri, agrémenté de jolies réflexions, habite le roman: le lecteur est facilement emporté d'une voix à l'autre,de Simon à Naëlle, de Naëlle à Céline, de Céline à Simon, visité aussi par cette énigmatique voix d'enfant secoué, traumatisé, visiblement enfermé, et les personnages sont parfois "comme des larmes sous la pluie", se confondant avec les gouttes, prêts à disparaître, à s'évanouir, fétus emportés par la vie: Simon, écrivain à succès, un fils de dix-sept ans, Lucas, déprimé, plus tard envoûté; Naëlle, employée dans un magasin de tissus, belle, mystérieuse, grande et svelte; Grégoire, ami de fac de Simon, apparemment heureux, les pieds sur terre; Céline, épouse de Grégoire et cliente de Naëlle, plaisante, pratique, fin(e) psychologue.
Après un début quasi enchanteur, plutôt léger, comme une balade relativement tranquille à travers la vie avec une mise en place progressive des éléments formant le contexte et l'environnement du récit, celui-ci, soudain, bascule. Dans le sordide, un réel sordide qui en choquera sans doute plus d'un par son thème sombre, dérangeant, à donner le frisson. Maîtrisé, le roman donne à réfléchir, matière à réflexion quant aux traumatismes engendrés par certaines situations à la limite du supportable. La promesse de Simon, sa quête forcenée, ses efforts désespérés, le lecteur les vit intensément... s'il s'accroche, Véronique Biefnot ayant pris de gros risques, Héloïse d'Ormesson ayant suivi... mais à quel prix? Certains rejetteront cette odyssée, d'autres la plébisciteront. Et Naëlle dans tout ça?
"Comme tous ceux qui croisaient la jeune femme, Céline n'avait pu faire l'impasse sur ce physique hors norme; mais ce qui l'intriguait vraiment, c'était son attitude, cette façon d'ignorer le pouvoir qu'elle exerçait sur les gens, d'en être plutôt contrariée; ce rapport poli, professionnel, qu'elle entretenait avec les clientes, jamais un sourire ou une plaisanterie, jamais un mot désagréable non plus d'ailleurs, l'aspect lisse et tranquille d'un sublime lac aux profondeurs inconnues." Faut-il se méfier de l'eau qui dort? Naëlle, une belle au bois dormant? Entre Simon et elle, l'amour pourrait-il se révéler salvateur, éternel? Comme le soleil se levant chaque matin, baume pour les coeurs blessés, meurtris... , "comme la brume matinale dévoile un à un les arbres du jardin...? "Comme des larmes sous la pluie": une lecture risquée mais... qui ne risque rien... Saluons le courage et l'audace de l'auteur!