Kyrielle Blues de Biefnot Dannemark par Thierry-Marie Delaunois chroniqueur

  "Nina s'est levée. Elle est allée jusqu'à la fenêtre. Elle l'ouvre et l'air frais du soir la fait frissonner. Dans un cimetière, pas loin de là, le corps de son père se transforme en ce qui deviendra bientôt de la poussière. Elle se souvient d'une phrase entendue un jour dans un film ou lue dans un livre, elle ne sait plus: "Without love, you're just another rat." Il y a en elle ce vide immense. Elle ne s'est jamais sentie aussi seule - et pourtant c'est un sentiment qu'elle connaît par coeur. Si le vent se levait, il pourrait l'emporter comme une feuille, il ferait d'elle ce qu'il veut, aucune importance." Qu'est-ce qui a mis Nina dans un tel état, ceci au cours de sa visite chez Antoine, le notaire de son père également pianiste, ce dernier s'étant lui-même littéralement figé de stupéfaction? Un secret inavouable? Un mystère dévoilé? Une révélation inattendue?

  Le décès inopiné de son père Teddy, un éprouvant voyage vers le Nord, un rendez-vous chez son notaire qui l'est tout autant, la lecture de son testament avec une stupéfiante énumération de biens, une confession finale surprenante, Nina, secouée, que son père a élevée seule, ne peut en fin de compte que se retrouver entraînée, happée non seulement par une kyrielle de souvenirs bouleversants mais aussi par les singulières dernières volontés de son père, pianiste de jazz réputé. Pourquoi, mais pourquoi, se demandera-t-elle tout comme Antoine suite à la vision de ce DVD qui était inclus au testament?

  Deuxième roman du tandem Biefnot-Dannemark élaboré entre l'automne 2013 et l'été 2015 venant après "La Route des Coquelicots", une oeuvre touchante et plaisante, sorte de poème symphonique constitué d'une ouverture festive et troublante, d'un andante et variations dignes des Variations Goldberg, d'un allegro d'ombres et de lumière et d'un final d'une sensibilité extrême, "Kyrielle Blues" met en scène les élans du coeur et de l'âme en un présent narratif simple, l'écriture aisée, à la portée de chacun, le bleu des illustrations de Véronique Biefnot ponctuant le récit de touches délicates nous immergeant davantage au coeur d'un émouvant blues semblable à une longue mélodie, toute la gamme des sentiments au rendez-vous.

  Un sol majeur lumineux ou un do mineur d'entre-deux, à mi-chemin entre lumière et obscurité? Perturbés, Nina et Antoine en voient de toutes les couleurs - de tous les sons? - dans ce voyage vers le passé qui une fois les secrets levés modifie brutalement leur présent, les mensonges et les silences ayant émaillé leurs vies à tous les deux. S'en sortir? Comment? En affrontant les vérités?

  Véronique Biefnot, auteure de cinq romans, et Francis Dannemark, de vingt, se sont pour la seconde fois - peut-être tels Bonnie and Clyde? - acoquinés pour nous concocter une oeuvre romanesque touchée par la grâce et une sensibilité peu commune.

  Nina réussira-t-elle à faire face à ce que lui apprend le DVD? "Depuis quand a-t-elle peur d'aimer? Elle le sait maintenant: depuis toujours. Sur son épaule, une main se pose. Une main chaude, qui serre fort. Elle ne bouge pas. C'est bien. Puis elle presse de ses doigts la main qui est là, la main de...qui vient d'apparaître et qui, lui aussi, doit se sentir pris de vertige, comme au bord d'un gouffre."

  S'étalant sur un an et demi, la trame de "Kyrielle Blues" nous entraîne dans le sillage de Nina, de son fils Anton, d'Antoine le notaire, de leurs parents respectifs et d'une troublante mais très vivante Kathy, amie intime de Nina. Vraiment une kyrielle d'un bleu aux nombreuses- pour ne pas dire cinquante - nuances de gris? Jazz et blues se mêlent harmonieusement, la musique omniprésente, la symphonie est belle, digne d'un Schubert. En avant la musique? Sans hésiter: vous serez dès les premières notes rapidement gagné par ce blues...

  Et au passage un tout grand merci aux près de 190000 lecteurs de mes chroniques!