La Maison du Belge, de Isabelle Bielecki, par Thierry-Marie Delaunois

"Et, surtout sa supplique de sauver son honneur : je t'ai sauvée, Elisabeth, et toi, sauve-moi à ton tour. Ecris sur moi. Pour que là-bas, au pays, ils sachent que je n'ai pas failli à mon devoir. Que je suis resté fidèle à ma patrie." Comment peut-on poursuivre une vie normale avec de tels souvenirs ? Et créer ? Le roman, que Elisabeth a entrepris d'écrire, avance trop lentement à son goût. Même péniblement. Les mots, ce pouvoir qu'ils ont, la bouleversent, la ralentissent. Pour quelle raison ?

Dernier volet d'une trilogie romanesque, même épique, "Les Mots de Russie" et "Les Tulipes du Japon" précédant celui-ci, "La Maison du Belge" de Isabelle Bielecki, écrivaine née d'un père russe et d'une mère polonaise rescapés des camps, en constitue le troisième temps fort, mettant en scène la sensible et tourmentée Elisabeth qui dans l'écriture trouve sa voie, une voie semée d'embûches qui souvent la déstabilisent, la reconquête d'un demi-siècle de mémoire la menant à arpenter des sentiers tortueux et escarpés. Quand les souvenirs les plus enfouis remontent en surface...

Dans cette ultime partie à la narration serrée et prolixe, nous suivons Elisabeth qui revient ici sur la laborieuse rédaction du premier volet, les contraintes autant intérieures qu'extérieures. D'une part, elle tente de briser l'amnésie et de tenir une promesse d'importance faite à son père, de l'autre, d'exprimer sa propre personnalité ceci dans un contexte on ne peut plus oppressant, celui de la manipulation pure et dure, cfr. la préface signée Myriam Watthee-Delmotte. "Reflets, retours, poupées russes"

Diplômée (licence) en traduction et courtière en assurances, auteure de romans, de nouvelles, de poésie et de pièces, Isabelle Bielecki, qui fut primée en 2007 pour "Les Mots de Russie", nous dépeint ici avec beaucoup de sensibilité et une belle maîtrise une passion dévorante, celle de Elisabeth pour un homme "riche et narcissique dont elle s'est follement éprise, initialement vampirique" (quatrième de couverture), l'écriture sa seule porte de sortie. "J'encode, jour après jour, des mots qui me bouleversent. Mais l'espoir d'arriver au but me motive. Je finis par remettre un premier paquet de feuilles à Ludo..." Fièvre, attentes et espoirs, enthousiasme et désillusions, cris et pleurs, affronts et affrontements, "La Maison du Belge" nous saisit, nous touche, nous investit,... Une odyssée, d'une certaine manière, au sein de la mémoire, au coeur de l'esprit et de l'âme.

Mais qui est donc cette Marina à qui s'adresse Elisabeth et à qui appartient cette singulière maison ? Les réponses vous attendent au fil des pages de cet opus dans lequel passé et présent se côtoient à chaque instant... pour le meilleur ou pour le pire ?