La route des coquelicots, de Biefnot-Dannemark, par Thierry-Marie Delaunois
La route des coquelicots, de Biefnot-Dannemark, par Thierry-Marie Delaunois
"Le découragement est une vague glacée bien plus dangereuse que l'eau dans laquelle Olena dérive. La seule idée de ne pas retrouver Milena lui donne envie de se laisser couler jusqu'au fond de la rivière, de s'allonger sur son lit de galets et d'arrêter la lutte. Ce combat, chaque jour répété, pour gagner le droit de vivre, lui paraît à cet instant impossible à livrer. Elle descend..." Que fait donc à proximité de la frontière polonaise Olena, 27 ans, jeune femme sans papiers d'origine ukrainienne, maman de la petite Milena qu'elle cherche à tout prix à récupérer? Un pont, des arbres touffus, la rivière, des cris, une patrouille de police allemande... Désespérée, tremblante, Olena coule... Sa dernière heure serait-elle venue?
Selon Simon Bersic: "Un voyage vers le bonheur!" que "La route des coquelicots", premier roman écrit par Véronique Biefnot, auteur de "Comme des larmes sous la pluie", "les murmures de la terre" et "Là où la lumière se pose", en tandem avec Francis Dannemark, où nous trouvons, dans l'introduction de quelques lignes, cette jolie pensée "Pour tous ceux qui jalonnent le chemin et nous ouvrent la voie...", qui se conclut par cette citation de Henri Bergson "Il faut ajouter de la vie aux années", avec entre les deux un long voyage à travers l'Europe ponctué de tensions, d'émotions, de fantaisie, d'humanité et d'humanisme que les auteurs rendent à merveille au travers de leurs personnages, de singulières retraitées pensionnaires de La Moisson, une maison du Nord-Pas-de-Calais, qui vont prendre la route, accompagner Olena dans sa quête pour le meilleur comme pour le pire.
Mais qui sont-elles? Lydie la tendre, 83 ans, veuve et sans enfants, Flora l'altière, 80, également veuve, et Henriette l'intransigeante, 79, belge et ancienne mercière. Pourquoi partent-elles ainsi à quatre, de surcroît dans une Opel peu fraîche, pour Lisbonne, effectuant d'abord un détour par la frontière germano-polonaise? Parce qu'il a fallu, au départ, que Stéphanie, la petite-fille de Flora, tombe sur Quentin, le petit-fils d'Henriette, et qu'un début de passion naisse entre eux.
Mais ne révélons pas tout de notre quatuor d'aventurières qui, au fil des étapes, vont se faire face, se découvrir, changer, évoluer pour finir par s'apprécier mutuellement, dévoilant chacune des recoins de leurs jardins secrets respectifs, un véritable voyage intérieur favorisé par la sympathique Olena qui, de son côté, semble ne plus rien avoir à perdre. Mais pourquoi s'inquiète-t-elle malgré tout autant? Que cache Lydie dans ce sac qui ne la quitte pas d'une semelle? Pourquoi Flora s'angoisse-t-elle à en faire des cauchemars? Et que dissimule donc Henriette au fond de son être? Il n'y a pas d'âge pour éventuellement commencer une nouvelle vie mais de là à traverser la Belgique puis l'Allemagne et atteindre la frontière polonaise pour ensuite revenir sur Nuremberg, Sète, Madrid, enfin Madrid...
Divisée en deux parties bien distinctes, "La route des coquelicots" nous entraîne tout d'abord au coeur de la maison de retraite avant de s'attacher aux pas - aux roues de l'Opel en fait - de Olena, Lydie, Flora et Henriette, ces deux dernières dames s'affrontant souvent en raison de leurs profondes différences. Une grande aventure, ce roman? Au style coquelicot, joliment fluide et floral, ponctué de pensées, réflexions et petits bouts d'histoires permettant au lecteur de s'enrichir au passage, également de se régaler notamment de bêtises de Cambrai. Et Olena dans cette épopée? C'est d'abord un sourire, un vrai, que Véronique Biefnot et Francis Dannemark nous offrent tel le refrain d'une chanson populaire. Mais...dans cette rivière? Reprenons là où nous avions laissé Olena: "Elle descend. L'eau se referme sur elle comme un grand drap de coton pesant, des algues s'enroulent autour de ses poignets. (...) Elle descend plus profond. Son dos heurte les pierres moussues..."
Est-ce la fin d'une illusion, d'un rêve, ou l'espoir est-il toujours permis? "La route des coquelicots" réellement un voyage vers le bonheur ou un chemin de désespérance? Accueillons - ou cueillons - ces coquelicots, découvrons-les sans attendre dans toute leur complexité d'être notamment...