Le Spectateur de Virginie Vanos lu et commenté par Thierry-Marie Delaunois
Le Spectateur de Virginie Vanos lu et commenté par Thierry-Marie Delaunois
"J'ai pleuré sans fin pendant plusieurs jours. Puis j'ai passé deux semaines au lit, principalement à dormir. Je tentais de lire ou d'écrire un peu mais je me fatiguais ou m'énervais au bout d'un quart d'heure et je me remettais à cogiter les yeux mi-clos jusqu'à ce que le sommeil m'emporte à nouveau. (...) Si mes absences duraient plus de quatre ou cinq jours, je ne recevais plus aucun coup de fil, plus le moindre mail. En fait je pense que je suis la femme la plus solitaire d'Europe, que je n'existe qu'à travers ce que je fais et non par l'être humain que je suis..." Bon sang mais comment la brillante mais non moins mystérieuse et ambiguë reporter Alexandra Mars en est-elle arrivée là? A exprimer de telles pensées sur sa propre personne? Face à Axel Ramaz son psychiatre, est-elle elle-même ou joue-t-elle un jeu ou un rôle qui pourrait à la longue se révéler nocif, voire dangereux? Et cette prise d'otages qu'elle a subie, qui s'est soldée par six morts, pourquoi semble-t-elle n'avoir eu que peu d'impact sur la jeune femme globe-trotter?
Oeuvre d'une riche densité psychologique, à l'excellente facture tant sur le fond que sur la forme, "Le Spectateur", huitième publication de Virginie Vanos, est le premier roman de fiction d'une auteure de fascicules d'expo, d'ouvrages d'humour, d'une oeuvre autobiographique et d'un essai sociologique, également modèle, photographe reporter et vidéaste, en toute objectivité un coup de maître sur le plan du style et de la narration notamment, Virginie Vanos nous offrant un bien singulier face à face entre deux êtres présentant chacun des fragilités et sensibilités qui devraient en théorie les rapprocher...
Ecrit à la première personne du singulier, "Le Spectateur" nous plonge au coeur des pensées d'Axel, jeune homme un peu snob mais foncièrement solitaire qui ne peut s'empêcher de se questionner sur les motivations profondes de la belle Alexandra. Et comment pourrait-il rester de marbre face à une telle femme? Entouré de trois bons amis, Terence, Orhan et Marek, Axel découvre bientôt la désapprobation du premier, l'inquiétude du deuxième et la compassion du dernier face à l'évolution de sa relation - mais peut-on réellement parler de relation? - avec sa patiente devenue au fil du temps cruelle et fatale obsession, non moins complexe. Le calme, sage et assuré Orhan, l'aîné du groupe, parviendra-t-il à le ramener à la raison?
Virginie Vanos semble avoir jeté toute sa vitalité d'auteure dans son oeuvre, c'est à se demander si son héroïne ne lui ressemble pas telle une soeur jumelle mais sans, espérons-le, un certain degré d'autodestruction qui semble habiter son personnage car nous aimerions tous la revoir bien vite en écriture tant son style fluide et délié accroche, narration et dialogues se côtoyant pour le meilleur, même à merveille, des traits d'humour à la Vanos surgissant par-ci par-là, typiques de l'auteure. Songeons aux noms des personnages de la scène au château de Saint-Eustache, une sorte d'aboutissement pour Axel prenant la forme d'une pénible prise de conscience.
La vie nous mène-t-elle toujours en bateau? Nos sentiments peuvent-ils à l'occasion nous perdre? Nos pensées n'existent-elles que pour nous conduire vers d'intolérables souffrances?
Mais passons pour en revenir à l'énigmatique Alexandra à qui Axel a demandé en quoi il pourrait l'aider, à la réponse qu'elle lui a lancée: "Le docteur Orhan Köse ne jure que par vous. Il me soigne depuis un accident stupide survenu il y a quelques années, qui m'a pourtant laissé des séquelles permanentes et assez douloureuses. Je sais qu'on ne va pas chez un thérapeute comme on commande une pizza mais je souhaite tout d'abord calmer ses horribles périodes d'angoisse et d'abattement..." Mais, au bout du compte, la belle n'est-elle pas là pour découvrir qui elle est réellement en dehors de ses écrits et de ses photos? Ne chercherait-elle pas à virer ses pensées nihilistes en trouvant le véritable sens de son existence? Alexandra, une âme en peine qui aimerait qu'on l'apprécie, la cajole, que l'on caresse son coeur, son âme, son esprit? Qu'on adhère à sa cause? Et si c'était en fait un souhait de l'auteure pour elle-même au travers de son personnage? Sans doute plus qu'un début de réponse dans "Le Spectateur", une fiction peut-être pas si fiction qu'on ne le penserait au départ... A vous de voir et de tomber en amour...ou pas, chers lecteurs et lectrices!